Processus

PAROLES D’ACTRICES ET D’ACTEURS

collaboration

Michaël HALLOUIN

« D’abord si je réfléchis à ce mot « training », je m’aperçois qu’il a évoqué pour moi, les premières semaines où nous avons travaillé, les entraînements sportifs de mon adolescence où j’aimais la dépense physique et retrouver la répétition de certains enchaînements. Mais je me suis ensuite aperçu que ce rapport à l’effort physique pouvait être un refuge pour ne pas avancer vers une autre difficulté : le rapport à soi-même. Je veux dire, comment tous les jours comme acteur : faire face à soi-même. C’est-à-dire apprendre à ne pas reculer devant les difficultés, trouver comment tomber les masques habituels qui me rassure. Accepter la nudité et le désarroi et toujours se rendre disponible au jeu (ludique) et aux enjeux auxquels les exercices nous confrontent. Et c’est peut-être là, dans ce rapport à l’exercice que se joue, pour moi, l’essentiel du training. J’ai l’impression en effet que la difficulté à laquelle l’exercice nous confronte est bien plus importante que l’exercice en lui-même. Ou plutôt qu’il m’a fallu apprendre à distinguer entre l’aspect technique de l’exercice qui n’est pas à négliger et son intérêt éthique. Je dis éthique comme cherchant un terme qui saisirait ce rapport complexe de l’homme-acteur face à une difficulté qui lui demande de s’impliquer de tout son être. Oui, j’écris « être » et je sens bien que c’est important. C’est en training que naît avec le plus d’évidence ce que nous cherchons dans les représentations : l’être-là. Je nomme ça comme ça, un peu naïvement peut-être. Est-ce la même chose ou est-ce différent de ce que Grotowski à nommer « organicité » ?  Je crois que ce que je veux dire est différent. L’organicité est  lié à une action, même infime, quand ce que j’appelle « être-là », est lié à un positionnement par rapport à la vie qui commence avant la représentation, se poursuit pendant et après et c’est peut-être pourquoi je dis que le training travaille une éthique de l’acteur.

Au-delà de cette question de l’éthique, je veux redire pourquoi le training me semble essentiel encore aujourd’hui et après un an de sueur et d’odeurs de salle de boxe. Le training est une confrontation obstinée avec une des principales difficultés de cet art : la répétition. Refaire les mêmes partitions jours après jours. J’aime comme le training nous permet d’inventer des possibilités de répéter sans répéter. Et puis ces évidences que tu ne connais que par l’expérience que tu en fais : le training me rend physiquement plus disponible à l’effort, et plus disponible à soutenir les enjeux souvent extra-quotidiens des situations qu’il faudra jouer au moment des représentations (meurtre, jalousie, rixe, ….) et enfin il prépare à soutenir l’effort de concentration que demande les représentations. Tout cela je l’ai éprouvé au fil des représentations de Woyzeck. Je trouve important que dans les training nous ayons fait attention à travailler les contradictions tels qu’être capable de soutenir un effort conséquent et d’un autre côté chercher à se rendre poreux, sensible à des détails (comme en travaillant sur les sensations par exemple.) Oui c’est cela qu’il faut continuer et accentuer, comme de travailler un muscle dans sa puissance tout en développant la sensibilité de l’épiderme.

Enfin je dirais qu’il me semble aujourd’hui difficile de concevoir un travail sur un projet sans training. C’est important pour moi qu’il existe un espace qui ne soit pas soumis à la représentation, où l’on puisse travailler à perte et sans souci de la forme dramaturgique du spectacle qui se construit. Où une action et une séquence d’actions peuvent devenir un monde en soi. Un espace où se construit ce qui donne chair et vie au théâtre : le rapport au présent et à la présence. »

 

Laurélie RIFFAULT

« Le training est pour moi une tentative de ne jamais figer ce qui constitue la matière de l’acteur en tant que créateur : lui-même, l’être humain. Dans sa matière physique et psychique. Cela suppose que le théâtre est un art de l’acteur, et que celui-ci tend vers un absolu au même titre que le peintre, le musicien ou l’auteur. La matière de ce théâtre est l’homme, c’est donc l’homme qui se cherche dans la matière. Mais l’acteur a à faire avec l’imperfection du corps, avec la répétition au fil de jours toujours différents, avec ses propres changements intérieurs et extérieurs. Le training est donc une tentative pour creuser la possibilité d’un absolu. Chaque jour, exercer son corps et son esprit à tous les détails de ses potentialités. J’y éprouve donc mes limites et mes manques, et je m’y confronte et cherche à les dépasser par un travail réel et concret.

Par le training je considère que la pensée n’est pas sise dans l’intellect cervical, mais qu’elle est aussi dans l’action, dans la sensation, dans la relation : qu’on peut donc développer une intelligence et une pensée différentes du pur intellect. Quand j’exerce mon corps, je travaille mon esprit, toute l’étendue des perceptions et des réactions qui les relient. J’éprouve autant un parcours physique très exigeant et intense qu’une progression mental et spirituelle. Revenir chaque jour à l’exercice est fatigant, c’est une épreuve dans laquelle se développent l’imaginaire et la recherche des variations du présent, pour recréer une forme toujours nouvelle et vivante dans la répétition.

Ce n’est pas une manière de construire un homme meilleur, plus fort, plus rapide, etc. ni des acteurs qui se ressembleraient. Plutôt une déconstruction de ce qui se fige dans la posture d’acteur, dans les présupposé de ce que l’acteur doit paraître. On déconstruit et on déplace. Dans le training chacun travaille à se rapprocher de lui-même, ou alors à se débarrasser de ce qu’il croit être l’acteur en lui pour parvenir à être en scène comme être humain non masqué, non dissimulé. Il ne s’agit pas seulement d’être naturel, plutôt d’être au-delà du naturel comme construction sociale, au-delà de l’époque, de la mode, de l’attente. C’est pourquoi nous nous inspirons des animaux, de leurs mouvements, de leur regard et de leur présence. Ils peuvent être une source dans le training pour chercher cette nature humaine en scène.

Il y a un lien avec la danse aussi. Une expression qui ne serait pas que dramatique, mais possiblement abstraite. Qui ne renverrait pas au sens de l’action mais à sa sensation, sa matérialité, et où l’acteur n’est plus seulement le sujet qui accomplit l’action mais un élément d’un ensemble vivant comprenant espace, lumière, son, mouvement. »

 

Antoine STERNE

C’est par la peau qu’on fera rentrer la métaphysique dans les esprits. Artaud

C’est le cas de la plupart des problèmes qu’on ne saurait les résoudre à temps, sauf que les écarter de son esprit en est un autre, non moins insoluble. LR Des forêts

« Plus j’avance dans la pratique du théâtre, plus j’acquière de maturité dans le jeu, notamment après cette première année de collaboration avec Interstices, plus je crois que ce qui me fascine au théâtre, ce qui continue à m’attirer dans cette recherche artistique tient pour beaucoup au travail fait pas à pas dans les trainings. Le training, comme atelier régulier de pratique d’exercices et de mises en situation de soi… interrogations sur l’énergie, la présence, la concentration, l’écoute… l’espace, soi, l’autre… 

Le training a agi et agit sur moi de plusieurs manières. D’abord comme un endroit où exercer sa concentration. Rien n’advient sans la volonté de plonger au cœur d’un exercice sans rien prévoir de ce qui va arriver, en y plongeant entièrement et en s’acharnant sereinement. Cela forge une concentration de plus en plus aiguisée, affutée et endurante. Ensuite, j’ai l’impression que cela a servi à me défaire de certaines habitudes de mise en travail, à constater mes limites (internes pour la plupart) à l’intérieur du travail et donc à chercher à les élargir, à explorer. Le temps passant c’est encore ce sentiment qui pousse à avancer; entrevoir tout l’espace devant soi, riche des possibles qu’on pourra y dénicher (vive la sérendipité). Plus jeune, je pensais mon travail d’acteur en termes de possibilités et d’impossibilités, je me savais/sentais capable de certaines choses bien précises et délimitées. S’entrainer quotidiennement permet d’acquérir concrètement de nouvelles potentialités (techniques, physiques), mais aussi et surtout d’ouvrir et élargir ce qu’on croit être possible, ce qu’on se donne comme limites, de rester en éveil. C’est un chemin d’ouverture de soi vers soi et vers l’autre (partenaire ou public). Un chemin qui est dur et éprouvant, mais qui est aussi joyeux car chaque étape franchie, chaque prise de conscience est une nouveauté, une sorte de cadeau. Et ce sont ce souci de quête et cette détermination, avec parfois ces « découvertes », qui sont l’essence de ce qui permet à un acteur de sortir de soi pour atteindre une humanité universelle. Autrement dit, d’aller vers soi pour s’en défaire.

De manière générale, le training m’aide à formuler et ressentir concrètement ces dialectiques nécessaires au théâtre : entre affirmation et négation, entre secret et exhibition, entre rituel et dérision, entre effort et lâcher-prise, entre conscience et abandon, entre répétition et transgression… Avant tout, cet entrainement quotidien est une mise en travail. Le plateau offre en lui-même, c’est-à-dire sans contenu textuel, même hors de toute matière à aboutir, une infinité de questions essentielles. Ces questions, la vie du plateau, demandent du temps et un usage régulier. S’y confronter m’a permis de pouvoir, au moment de créer, mieux maîtriser les plongées dans l’action et le recul nécessaire. Un training permet de repétrir et réinterroger quotidiennement son désir, et de le bousculer, l’empêcher de se figer. De chercher comment dépasser en soi le quotidien, le normal, le social. Se défaire de nos « recettes ».